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Comment la cuisine a sauvé Jack Monroe, ancienne chômeuse et mère célibataire


Mère de famille, chômeuse, habituée des banques alimentaires, blogueuse culinaire, militante anti-pauvreté, auteure. A seulement 25 ans, Melissa (qui se fait désormais appeler Jack) Monroe a eu plusieurs vies. A la fin du mois de février, paraît au Royaume-Uni son premier livre, un recueil de recettes à préparer moyennant quelques dizaines de centimes d’euros seulement.
Trois semaines avant la sortie de Une fille qui s'appelle Jack : 100 délicieuses recettes à petit prix, la jeune auteure vient de recevoir son exemplaire. « J’ai encore du mal à y croire. Les histoires de contes de fées, chacun sait que ça n’arrive qu’aux autres ! Mais maintenant que mon livre existe physiquement, que j’en ai un exemplaire, là, sur la table de mon salon, tout devient réel », explique la Britannique, jointe par téléphone.

Si Jack Monroe a du mal à réaliser, c’est parce que tout est allé très vite. Il y a trois ans, à la naissance de son fils Johnny, la jeune femme, qui vit à Southend-on-Sea, à une soixantaine de kilomètres de Londres, doit quitter son poste de standardiste dans une caserne de pompiers à contre-cœur, car il lui est impossible d’assurer ses horaires de nuit avec un bébé à charge.

Célibataire, sans emploi, elle fait vivre son petit foyer grâce aux aides sociales. Mais même après avoir progressivement coupé le chauffage dans son appartement, vendu ses meubles, ses objets de valeur et, en dernier ressort, une partie des jouets de son fils, la jeune mère de famille ne dispose que d’un budget nourriture de 10 livres sterling par mois, soit une douzaine d'euros. Sa situation la pousse alors à fréquenter, « honteuse », les banques alimentaires, mais aussi à redoubler de créativité pour concocter des plats appétissants, équilibrés et bon marché à son fils.

L’idée du blog est venue plus tard. Après avoir envoyé plus de trois cents candidatures sans parvenir à décrocher un emploi – agent de propreté ou vendeuse, peu lui importait – elle s’est mise à compiler des recettes de cuisine simples et dans son budget sur Internet, comme son curry de pois chiche aux abricots (27 centimes par personne) ou ses penne crémeuses au saumon, avec une pointe de citron et piment (33 centimes par personne).


A girl called Jack, littéralement « une fille qui s'appelle Jack », raconte également son quotidien : celui des parents pauvres qui ont recours aux banques alimentaires pour nourrir leur famille, des personnes âgées qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Bref, une forme de pauvreté dans un des pays les plus riches du monde.

« C'EST AUSSI ÇA, LA PAUVRETÉ »

« Lorsque les gens pensent à la pauvreté, ils ont en tête des pays africains, associés à la "vraie pauvreté". Mais vous savez, un demi million de personnes en Grande-Bretagne ont recours aux banques alimentaires pour nourrir leur famille. C’est aussi ça, la pauvreté : des gens qui n’ont pas les moyens d’assumer leurs besoins essentiels au quotidien. »

Son post de blog « Hunger hurts », littéralement « La faim fait mal », rédigé en juillet 2012 en réaction aux propos d’une élue locale qui avait dénoncé dans la presse la nuisance que représentent « les drogués, les alcooliques et les mères célibataires » dans sa ville, la fait sortir de l'anonymat.

Difficile de rester insensible lorsqu’elle raconte que la veille, après avoir cuisiné un reste de pâtes à la tomate à son fils, elle s’est couchée la faim au ventre avant d'avaler un thé maison au gingembre, pour calmer ses crampes d’estomac. Ou lorsqu’elle explique qu’elle a placé ses meubles devant ses radiateurs pour oublier leur existence et ne pas être tentée de les allumer.

« Les gens me demandent comment je fais pour être si forte. Les gens me disent qu’ils admirent mon état d’esprit. Des jours comme aujourd’hui, assise sur le lit de mon fils avec une amie, engourdie et le regard dans le vague alors que j’essaie de déterminer où aller à partir de là, je ne me sens pas forte. Je n’ai pas le moral. Je vais de l'avant, c’est tout », rapporte alors la jeune femme dans un style vif et tranchant.

Outre-Manche, ce billet suscite des centaines de commentaires de personnes qui s'identifient à elle. Rapidement, les médias se saisissent de l'histoire de « Jack ».

The Daily Telegraph salue un blog « drôle et incisif ». Le Guardian propose à la jeune femme une chronique hebdomadaire de recettes pas chères. Aux Etats-Unis, le New York Times fait d’elle « la figure britannique de l'austérité ».


BLOGUEUSE ENGAGÉE

Forte de cette notoriété, la jeune maman s'engage dans la lutte contre la pauvreté aux côtés d’associations comme Oxfam, dont elle est aujourd'hui l'ambassadrice. Elle est également à l’origine d’une pétition pour réclamer au gouvernement britannique un débat sur le problème de la faim et de l’utilisation des banques alimentaires en Grande-Bretagne.

En deux semaines, son initiative recueille 144 398 signatures. Le seuil des 100 000 étant dépassé, les élus ont dû débattre de la question. A la suite d'une discussion de plusieurs heures, un groupe parlementaire, dans lequel tous les partis politiques sont représentés, a été créé pour enquêter sur les causes du recours aux banques alimentaires par plus de 500 000 Britanniques.

« Je vais suivre ça de près, pour être sûre que les discussions vont bien dans la bonne direction et que ce groupe n’est pas simplement un symbole, mais la preuve que les parlementaires veulent réellement s’attaquer au problème », indique Jack Monroe.

Propulsée sur le devant de la scène, elle est aussi en proie à de nombreuses critiques, sur les réseaux sociaux, où la jeune femme est très active, ainsi que dans la presse. Hormis des remarques sur son apparence, on lui reproche son évolution et son succès : maintenant qu'elle a réussi, elle n'est plus crédible pour parler de pauvreté. La publicité http://adf.ly/2790808/SaveFrom.net qu'elle a réalisée pour la chaîne de supermarchés britannique Sainsbury's lui a par ailleurs valu d'être taxée de « vendue ».

Mais son action cristallise surtout la polémique autour des aides sociales et de l'Etat-providence. Une chronique publiée par le Daily Mail (quotidien conservateur) au mois de novembre indique que Jack Monroe a « choisi » de quitter son travail et donc de dépendre des allocations familiales. Les contribuables britanniques ne devraient donc pas avoir à payer pour élever son fils. Et le chroniqueur de poursuivre : « Libérée de la nécessité de se rendre au travail tous les jours, Jack a eu tout le loisir de s'asseoir devant son ordinateur portable et de se plaindre des coupes » budgétaires.

« C’est amusant, parce que la rhétorique du parti conservateur est : travailler dur et aller de l'avant. Mais j’ai travaillé dur et je suis allée de l'avant mais ils me détestent ! », relève la jeune femme, qui se revendique de gauche. « J'ai 17 livres [20,80 euros] sur mon compte en banque en ce moment », tient-elle a préciser, avant d'ajouter : « Je crois que quand les gens se lancent dans des attaques mesquines comme ça, c'est parce qu'ils n'arrivent pas à argumenter politiquement. Pour dévier du vrai sujet qu'est la pauvreté et la faim, ils font des commentaires sur ma coupe de cheveux. »



« LA CUISINE M'A SAUVÉE »

« Lorsque j’ai commencé à écrire mon blog et que des gens ont pris contact avec moi pour me remercier de les avoir aidés avec mes recettes, ça n’était pas vraiment un travail pour moi, car je n’étais pas payée, mais ça m’a fait me sentir utile », raconte Jack Monroe. « Ces recettes, je sais que ça peut paraître trivial, mais elles m’ont permis d’entrer en contact avec des gens, de m’occuper, alors que je cherchais un emploi, ça a été quelque chose de très positif à ce moment-là de ma vie. »

Aujourd’hui, Jack Monroe vit plus confortablement grâce à sa chronique dans le Guardian, mais elle reste sur ses gardes : « C’est une super paye, mais ça n’est pas régulier. Certes, je suis retombée sur mes pieds, je peux me permettre certaines choses qui m'étaient avant inaccessibles. Mais j'ai peur de tout perdre. Pour autant, je suis dans une bien meilleure période de ma vie, parce que ce qui m’est arrivé m’a donné confiance en moi et m’a permis de trouver ma voie : la cuisine ! »

Les contraintes qu’elle se fixe pour ses recettes n’ont pas changé depuis : « J'essaie toujours de faire des recettes aussi peu chères que possible, réalisées avec des produits qui viennent exclusivement de supermarchés, car je ne connais pas grand monde qui n’ait pas accès à un supermarché. Mon objectif est de rendre la cuisine accessible et moins intimidante. »

Son livre paraîtra-t-il en France ? Aucune traduction française n'est prévue, mais l'option est envisagée : « J’ai quelques livres de cuisine française. J’essaie de mettre au point des recettes françaises qui soient simples et à la portée de tous. Je serais par ailleurs curieuse de voir comment mon livre serait reçu dans la capitale culinaire du monde ! » 

Pour l’heure, la jeune femme travaille déjà sur son second ouvrage : « J’avais tellement de recettes que je ne pouvais pas toutes les faire tenir dans un seul livre ! », plaisante-t-elle.

Source : lemonde.fr


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